Le Corps et le Verbe du Pape François

 

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De Benoît à François, continuité ou rupture ?

Les gestes et les paroles du nouveau pape incitent certains à opposer les deux papes. Est-ce bien raisonnable ?

 

Tout le monde l’aime. Tout le monde le trouve épatant. François, en moins de quelques jours après son élection, à travers quelques gestes et quelques paroles, a réussi à emporter l’adhésion quasi générale. Par une sorte de retournement dont la société médiatique a le secret, l’institution de la papauté habituellement décriée dans la sphère publique est désormais l’objet d’enthousiasme. Mais il n’y a pas ici qu’un phénomène médiatique.

D’une façon intuitive, François a compris comment s’attacher la planète dès son apparition à la loggia de Saint Pierre : en faisant appel à des choses élémentaires, en sollicitant une participation interactive. En demandant de prier (pour Benoit XVI) un Pater et un Ave, François a proposé tout simplement, aux milliers de fidèles réunis Place Saint Pierre, mais aussi aux milliers qui le regardaient à la télévision ou sur internet, d’activer leur touche “prière”, c’est-à-dire d’agir concrètement. Un vrai génie pastoral très moderne, totalement au service de l’évangélisation des catholiques qui ont “décroché”.

Une de mes amies, très éloignée de la pratique religieuse catholique, m’a confié l’émotion qui l’a saisie lorsqu’elle s’est mise à prier, avec cette foule immatérielle, les paroles du Notre Père, devant son écran de télé. Elle s’était laissée toucher... Il suffit de peu pour conquérir les coeurs, et surtout s’il s’agit de reconnecter nos contemporains à leur part d’enfance insubmersible.

Certes, les gestes sont puissants : la soutane blanche toute simple, les chaussures de ville, la croix pectorale. Le pape qui s’incline et demande la prière de tous... Puis, le pape qui règle sa chambre d’hôtel, prend un bain de foule, descend de sa voiture pour embrasser un handicapé. Le pape qui refuse les discours préétablis, simplifie le style liturgique, refuse d’habiter le palais apostolique, célèbre la messe tous les jours avec les employés du Vatican. Le pape lave les pieds des femmes le Jeudi saint, dont une musulmane, balayant les règles liturgiques.

Certes, les paroles sont sans équivoque : son souhait d’une Eglise pauvre et pour les pauvres, appuyée sur la crédibilité de son style de vie en Argentine (et ses appels aux Argentins à ne pas dépenser de billet d’avion pour venir à Rome, mais de consacrer cet argent aux pauvres). Son plaidoyer pour une église qui ne soit pas “autoréférentielle”, obsédée d’elle-même, mais qui se ressource à la périphérie. Son appel aux cardinaux à ne pas se replier sur la mondanité et le pouvoir.

Le changement de style est évident avec Benoit XVI, peut-être trop raffiné intellectuellement et trop timide pour pouvoir ravir les foules d'une manière aussi directe. En matière liturgique, on aura vite remarqué que le nouveau pape - très jésuite en ce domaine - n’est pas vraiment à cheval sur les normes, alors que le pape émérite l’était tout à fait ... Néanmoins, faut-il à ce point opposer les deux hommes, comme si la lumière avait soudain resplendi sur une Eglise plongée dans l’ombre...? A entendre certains, l’Eglise sortirait de huit ans de glaciation avec cette élection, qui représenterait une révolution copernicienne. La "température ressentie" de la perception de l'Eglise est certes différente. L'image change, mais l'Eglise catholique n'a pas changé de cap ou de valeurs...

Rien ne me semble plus faux d'opposer les deux papes. D’abord, Benoît XVI est très loin d’être l’ultra conservateur que l’on s’est plu à dépeindre. Certes “tradi” sur les formes, son approche théologique repose sur un équilibre subtil entre la foi et la raison (l’une compensant les excès de l’autre, de façon réciproque). Et puis Benoît XVI s’est d’ailleurs démarqué du bretteur que fut Joseph Ratzinger des années 1980...

S’il ne s’est jamais exprimé avec autant de fougue que François sur la question de la pauvreté, on ne peut pas dire que Benoît XVI ait été indifférent à la question, si l’on en juge par sa dernière encyclique, Caritas in veritate, ou ses messages pour la paix du 1er janvier. Lors de son voyage en Allemagne, en 2011, il a fait sévèrement la leçon à l’Eglise allemande, qui est selon lui trop riche, et donc spirituellement affaiblie.

Ensuite, François est loin d’être l’archétype du progressiste. Il a été placardisé pour ses opinions conservatrices du temps où Pedro Arrupe dirigeait la Compagnie de Jésus. Lors de ses premières interventions, il a évoqué le rôle du diable, fustigé les catholiques qui réduiraient l’Eglise à une ONG. Son message est, à tous point de vue, bien plus offensif que celui de Benoit XVI sur la question de l’évangélisation et la fierté revendiquée d’être catholique. Ce n’est pas un jésuite à l’européenne (un intellectuel), mais un missionnaire branché sur l’évangélisation. Comme le jésuite du film Mission de Roland Joffé (1986), c’est un radical.

S’il est génial, notre nouveau pape n’est pas à l’abri d’une faute de discernement... Comme on pouvait lire il y a deux jours sur le site du Vatican : “Le Pape François a fait parvenir un message au Premier Ministre britannique à la suite du décès hier à 87 ans de Mme.Margaret Thatcher, qui occupa son poste de 1979 à 1990. Il y évoque les valeurs chrétiennes qui présidèrent à son action politique et à sa défense de la liberté entre les peuples”.(..) Je ne sais pas ce que le Poverello aurait dit de l’attitude de Maggie face à Bobby Sands et les mineurs britanniques, mais j’ai trouvé presque comique l’allusion aux “valeurs chrétiennes” de la Dame de fer, dont on peut néanmoins admirer certaines qualités indéniables. Mais quant à la citer en exemple pour sa façon chrétienne de faire de la politique...

Il est donc stérile d’opposer les deux papes. La forte insistance sur l’évangélisation du nouveau pape est une sorte d’accomplissement de la volonté du pape émérite de relancer la pompe à cet égard, comme en a témoigné la création d’un dicastère sur le sujet et la tenue d’un synode à Rome, en octobre dernier. Et qu’il y ait une forme de rupture stylistique n’autorise guère à formuler que l’Eglise est en train de “muter”. Que Benoit XVI ait davantage parlé en théologien ne l’a pas empêché d’être un pasteur, comme l’ont montré ses discours au monde (Bernardins, etc..) et de parler aux “gens simples” à travers des homélies limpides. Les gens ont pris du temps pour l’aimer, pour le découvrir. Par contre, François, qui a conquis les coeurs très rapidement, va devoir tenir dans la durée, et décevra forcément ceux qui l’ont porté trop vite au pinacle de leurs espérances. 

Source : http://www.lavie.fr Par Jean Mercier
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