"Le péché n’est pas réservé à Al-Qaida"

Au moment du drame de Toulouse, le cardinal archevêque de Lyon était à New York pour rencontrer des rabbins. Comment a-t-il vécu l’événement ? Il répond à nos questions.

Le cardinal Barbarin participait à une manifestation à Lyon le 24 mars dernier, à la mémoire des 7 personnes tuées par Mohamed Mérah © Jeff Pachoud / AFP

Le cardinal Barbarin participait à une manifestation à Lyon le 24 mars dernier, à la mémoire des 7 personnes tuées par Mohamed Mérah © Jeff Pachoud / AFP

« Il était à peine plus de 5 heures du matin à New York, quand nous avons appris ce drame. Aussitôt, j’ai appelé le grand rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag, le président national du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), Richard Prasquier, et celui de Rhône-Alpes, Marcel Amsallem. Les Américains nous ont exprimé leurs condoléances. On sentait le pays touché par ce drame, qui a fait la une du New York Times, le lendemain. À l’emplacement des Twin Towers, où nous étions, des bassins montrent désormais des ­larmes qui couleront éternellement. C’est le sentiment qui nous saisit, lorsque nous sommes confrontés à des crimes d’une telle monstruosité.

À présent, nous, chrétiens, juifs et musulmans, devons rendre témoignage de ce qui fait le cœur de notre foi : la miséricorde de Dieu qui est source de paix pour le monde. Le mot miséricorde est encore peu connu et utilisé, alors qu’il est partout présent dans la Bible ou le Coran. Les juifs savent qu’ils sont un peuple élu pour témoigner de la miséricorde de Dieu devant les nations. Les musulmans appellent Dieu, « le Tout miséricordieux, le Très miséricordieux ». Et nous chrétiens, qui entendons la Vierge Marie s’écrier dans le Magnificat : « Sa miséricorde s’étend d’âge en âge », nous savons qu’elle résume toute la Bible en quelques mots !

À ceux qui pensent que l’islam n’est que violence, je conseille de lire l’éloge funèbre prononcé par Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Vil­leurbanne, pour les obsèques de Mohamed Legouane, tué à Montauban. Il explique que « l’homme n’est pas sur terre pour haïr, mais pour aimer ».

Pascal dit que la paix est « un bien souverain » et que, pour y parvenir, il faut que toutes nos forces soient mises au service de ce qui est juste. Quel défi ! Juifs, musulmans et chrétiens, nous voulons tous le relever. Dans la nuit de Noël, nous donnons à Jésus le titre messianique de « Prince de la paix », qui nous vient du prophète Isaïe. Pourquoi l’unité serait-elle impossible sous prétexte qu’on doit reconnaître la personnalité de chacun ? Toutes les familles vivent cela. Bien sûr, il arrive qu’elles soient divisées par des jalousies ou par des conflits, mais tous savent ce qu’est « l’esprit de famille ». C’est aussi le défi de toute l’humanité. Nous sommes différents par le sexe, la culture, la race ou la religion. Pourtant, nous avons conscience d’appartenir à la famille humaine, qui a été trop souvent défigurée par les luttes fratri­cides. Les croyants regardent Dieu le Créateur, et le « Père » pour les juifs et les chrétiens, comme la source de toute cette grande famille. C’est pourquoi ils voient toute vie humaine comme sacrée.

On comprend que ces violences monstrueuses, qui reviennent cycliquement, engendrent la peur. Mais, plutôt que de céder à ce sentiment sous prétexte de ne pas tomber dans l’angélisme, je préfère que nous relayions les paroles des musulmans qui sont conscients de ce danger et affirment avec force qu’aucun crime ne peut être commis au nom de Dieu. Plusieurs dénoncent la violence de certains prêches dans leurs mosquées et lancent un appel aux responsables politiques pour en être délivrés.

Sur terre, aucun lieu n’est à l’abri. Chaque jour, où que nous soyons, notre vie dépend de la liberté d’autrui qui peut parfois se transformer en violence, et même en folie. Sortir de la naïveté, c’est aussi rappeler que le péché n’est pas réservé aux membres d’al-Qaida. La violence habite le cœur de tous les hommes, et nous voyons comme elle est difficile à juguler en nous, parfois.

Par ailleurs, il y a une réflexion à mener 
sur le concept de laïcité, utilisé parfois dans des sens contradictoires. Il faut se souvenir que le mot vient d’un contexte chrétien : le laïc, c’est celui qui n’est pas clerc. En France, les premiers à avoir demandé la séparation de l’Église et de l’État, dès 1830, ce sont des catholiques, comme Lamennais, Lacordaire ou Montalembert. Ils voulaient que l’Église échappe à la mainmise de l’État. On voit aussi comment Aristide Briand, très violent contre les catholiques au départ, a assoupli sa position pour aboutir à la loi de 1905.

Il est clair que le contexte n’est plus le même et que ce mot doit être repensé à partir des diversités culturelle et religieuse que vit notre pays, aujourd’hui. Il y a quelques années, j’avais été frappé par une tribune d’Alain Jakubowicz dans Le Monde, intitulée : Laïcité, aïd’cité, yid’cité. Il avait forgé ces deux néologismes pour montrer le chemin encore à parcourir pour sortir d’une laïcité pensée à partir du contexte catholique. »

 

Source : La Vie

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